Trois militantes des droits humains ont été acquittées mardi. Elles étaient accusées de diffamation par une entreprise avicole thaïlandaise. Elles avaient vaguement reposté une vidéo qui évoquait des pratiques de travail abusives bien réelles.
Elles ont été inculpées en vertu d’une loi qui aurait pu conduire à une peine de 42 ans de prison.
L’entreprise Thammakaset a déclaré que les commentaires des accusées sur les réseaux sociaux étaient liés à une vidéo diffamatoire produite par un groupe de défense des droits de l’homme, Fortify Rights, contenant une interview d’un travailleur qui décrivait des conditions de travail abusives. Au total, l’affaire concernait 30 chefs d’accusation de diffamation pénale.
L’entreprise n’a pas répondu aux demandes des commentaires.
Plusieurs pays asiatiques disposent de lois pénales sur la diffamation utilisées par les entreprises et les hommes politiques pour faire taire et intimider les critiques.
Depuis 2016, Thammakaset a engagé au moins 37 poursuites contre 22 personnes, dont des travailleurs migrants, des militants des droits humains et des journalistes, la majorité étant des femmes, selon Fortify Rights. Presque toutes ont été rejetées par les tribunaux thaïlandais. Le but de l’entreprise n’est pas de gagner le procès mais d’agacer les inculpés au point qu’ils finissent par se taire.
Les travailleurs de Thammakaset avaient déposé une plainte auprès de la Commission nationale thaïlandaise des droits de l’homme en 2016. Les travailleurs ont déclaré qu’ils travaillaient jusqu’à 20 heures par jour pendant plus de 40 jours sans jour de congé, qu’ils n’avaient pas de rémunération pour les heures supplémentaires et que leurs documents d’identité avaient été confisqués.
En août 2016, le ministère thaïlandais de la Protection du travail a ordonné à Thammakaset de verser aux travailleurs un total de 1,7 million de bahts (56 000 dollars) à titre d’indemnisation. L’argent n’a été remis qu’en 2019.
Cela prouve que la fameuse vidéo n’était pas diffamatoire.
Le juge a déclaré que les accusés n’étaient pas coupables de diffamation car les lecteurs de leurs publications sur les réseaux sociaux auraient dû cliquer sur plusieurs liens pour accéder à la vidéo Fortify Rights, selon l’avocat des accusés.
« Faire face à une accusation de diffamation criminelle est vraiment traumatisant », a déclaré l’une des acquittées, Angkhana Neelapaijit , membre d’un groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions et récipiendaire du prix Ramon Magsaysay, Philippines. « Par exemple, il faut gagner de l’argent pour payer l’avocat. Vous devez sacrifier votre temps pour aller au tribunal. Vous devez écouter l’entreprise vous attaquer alors que vous n’avez jamais rien fait de mal.
« Pour être honnête, je ne me sens ni heureuse ni soulagée car nous avons enduré près de quatre ans de procédures judiciaires pour finalement voir l’affaire rejetée », a déclaré Thanaporn Saleephol, ancienne employée de Fortify Rights. « C’est en fait le but (de l’abus de la loi sur la diffamation) car elle vise à faire perdre du temps et de l’énergie aux défenseurs des droits de l’homme. »
Puttanee Kangkun, la directrice de The Fort, qui héberge des groupes d’activistes à Bangkok, s’est dite heureuse de son acquittement, mais s’est demandé pourquoi cela avait pris si longtemps : 15 audiences sur quatre ans.
« Il devrait y avoir un mécanisme pour mettre fin à ces procédures qui nuisent à la liberté d’opinion. On s’exprime pourtant dans l’intérêt public », a-t-elle déclaré.
L’avocat des trois accusées, Tittasat Soodsan, a déclaré que la loi pénale sur la diffamation est facilement utilisée par les entreprises pour faire taire les critiques.
« Une fois que l’entreprise a engagé les poursuites, la police mène l’enquête. Le plaignant n’a plus rien à faire mais c’est très chronophage pour les autorités », a déclaré Tittasat. Et anxiogène pour les accusées.
