
Alors que le paysage politique thaïlandais se reconfigure, le Premier ministre Anutin Charnvirakul semble bénéficier d’un moment particulièrement favorable. Porté par une dynamique positive et par la désorganisation de ses principaux rivaux, il pourrait envisager une dissolution anticipée de la Chambre des représentants pour consolider son pouvoir. Ce choix, bien que risqué, lui permettrait de capitaliser sur son état de grâce et sur la fragmentation des partis concurrents.
Un sondage Suan Dusit Poll réalisé du 14 au 17 octobre révèle une opinion publique partagée sur les défections de députés d’un parti à un autre. Si 61,32 % des personnes interrogées considèrent ces mouvements comme inhérents à la vie politique, 52,91 % les associent à des pratiques douteuses telles que le marchandage ou l’achat de votes, et 41,99 % y voient des motivations purement personnelles. Ce climat de transferts opportunistes renforce paradoxalement la position d’Anutin, dont le parti Bhumjaithai accueille sans scrupule les élus venus d’ailleurs.
Le Premier ministre lui-même a souligné la victoire écrasante de Bhumjaithai face au Pheu Thai lors des récentes élections partielles à Kanchanaburi et Sisaket, y voyant la confirmation de sa popularité et de la solidité de sa coalition. Pendant ce temps, le Pheu Thai traverse une crise identitaire, fragilisé par l’incarcération de Thaksin Shinawatra et par des recompositions internes incertaines. Le Parti démocrate, malgré le retour d’Abhisit Vejjajiva, peine à retrouver son influence, marqué par un passé controversé et des résultats électoraux en déclin.
Dans ce contexte, Anutin apparaît comme un gestionnaire pragmatique, capable de maintenir l’équilibre au sein d’une coalition mouvante. Une dissolution rapide lui permettrait de devancer la réorganisation de ses adversaires et de renforcer sa légitimité.
Pourtant, l’ancien député Pheu Thai Somkid Chuakong affirme qu’Anutin Charnvirakul pourrait dissoudre rapidement pour empêcher toute réforme constitutionnelle, qu’il juge n’avoir jamais été sincèrement soutenue par Bhumjaithai. Selon lui, le mémorandum signé avec le People’s Party était une manœuvre trompeuse. En effet, le Bumjaithai, proche de l’armée, s’accommode très bien d’une constitution écrite sous le régime d’une junte militaire pour favoriser les conservateurs.
Somkid estime également que le gouvernement actuel, devenu minoritaire, pourrait vouloir éviter un débat de censure à l’assemblée. La dissolution préviendrait cet écueil.
Ce débat de censure pourrait évoquer un scandale lié à des réseaux d’escroquerie transnationaux basés au Cambodge. Selon le député Chutipong Pipoppinyo, plusieurs membres du gouvernement, dont les ministres Thammanat Prompao et Worapak Thanyawong, seraient soupçonnés d’implication dans ces activités frauduleuses.
Cependant, des critiques émergent aussi sur le plan institutionnel. La récente nomination de deux membres de la Commission électorale, par le Sénat, malgré une enquête en cours visant 138 sénateurs — dont 91 liés à Bhumjaithai — soulève des inquiétudes sur l’indépendance des organes de contrôle. Plusieurs voix, dont celle du député Parit Wacharasindhu, appellent à suspendre ces nominations pour préserver la crédibilité démocratique. Malgré cela, le vote a eu lieu.
En 2023, le parti Bhumjaithai, perçu comme proche de l’armée, ne rassemblait qu’environ 5 % des suffrages lors du scrutin proportionnel. Aujourd’hui, il s’impose comme un acteur central de la scène politique, porté d’une part par une manœuvre électorale controversée — qualifiée de frauduleuse par la police – lors des élections sénatoriales et d’autre part par une alliance opportuniste visant à remplacer les Premiers ministres du Pheu Thai évincés par des décisions judiciaires.
Enfin, le conflit frontalier entre la Thaïlande et le Cambodge, profite à l’armée, soutenue maintenant par 88 % de la population, et, par conséquent, à un parti proche idéologiquement, le Bumjaithai d’Anutin.