Le plus grand journaliste de Thailande, Pravit Rojanaphruk (récompensé par plusieurs prix internationaux et ami du défunt Arnaud Dubus), explique ce phénomène.
Le major Sivakorn Saibua a été abattu par un homme armé qui aurait travaillé pour un chef de sous-district (canton) local (Kamnan) dans la province de Nakhon Pathom, qui serait une « personnalité influente ».
Un personnage influent signifie qu’il a plus de pouvoir et d’influence que ne le suggère le titre officiel de poste ou la profession. De nombreux kamnans, techniquement de rang inférieur à celui du chef de district, ou Nai Amphur, sont plus influents et plus puissants que le chef de district parce que les premiers sont des personnes locales choisies par la population locale, tandis que les seconds sont nommés par le ministère de l’Intérieur de Bangkok et sont le plus souvent parachutés dans la région où ils ne restent que quelques années, justement pour éviter leur propre corruption.
Certains, comme feu Kaman Poh de la province de Chon Buri, l’homme le plus influent de la province, considéré comme à la tête d’une véritable mafia, connaissent un tel succès qu’ils forment une dynastie politique. L’un des enfants de Poh est devenu maire de Pattaya et finalement ministre de la Culture. Ittiphol Kunpluem a servi sous l’administration du général Prayut Chan-o-cha et est maintenant recherché pour avoir signé illégalement un permis de construire alors qu’il était maire de Pattaya.
Ittiphol, dont le nom en thaï signifie à juste titre « influent », est désormais soupçonné par les autorités d’avoir fui au Cambodge.
Comme kamnan Nok, Kamnan Poh a ordonné l’élimination physique de ceux qui se mettaient sur son chemin et il a été condamné à de la prison pour cela.
Dans le même ordre d’idées, on pourrait dire que l’armée, un État dans l’État, est une sorte d’organisation influente. Le poste convoité de chef de l’armée est connu depuis de nombreuses décennies comme étant plus puissant que le poste de commandant suprême et même de ministre de la Défense, car il est vital pour organiser un coup d’État militaire.
Néanmoins, identifier les personnalités influentes en Thaïlande, est plus compliqué que cela. Plus certaines de ces personnalités influentes (ou mafieuses) sont puissantes, moins vous aurez le loisir de les traiter de mafieuses car elles sont justement trop puissantes pour qu’on s’y attaque. Souvent, on les appelle Sia (homme riche) XXX. D’autres préfixes évocateurs sont utilisés.
Les personnalités influentes s’épanouissent dans la société thaïlandaise en raison des bas salaires des fonctionnaires et officiers de base qui doivent compter sur des revenus supplémentaires en travaillant pour les mafias. De nombreux policiers thaïlandais sont largement considérés comme « compromis » de manière systématique ne serait-ce que que pour payer leurs chefs tout au long de la chaîne de commandement qui remonte très haut.
Si vous êtes policier, vous avez le choix entre travailler pour la mafia, fermer les yeux ou être traité comme un ennemi. Dans ce cas, pas de promotion et des risques pour votre vie, on l’a vu récemment.
C’est pourquoi, dans le cas de l’assassinat d’un Pol. Major Sivakorn, six policiers ont été arrêtés par le tribunal et soupçonnés d’avoir contribué à l’assassinat de Sivakorn et à la destruction des preuves du crime.
Le système de clientélisme, très répandu en Thaïlande, est profondément enraciné, notamment dans les zones rurales.
Ces personnes influentes existent et opèrent dans la société thaïlandaise comme le secteur informel de l’économie thaïlandaise – en tandem avec le secteur formel, imbriqués l’un dans l’autre et indissociables, conclut Pravit.
Cependant, force est de constater que la situation s’est améliorée puisqu’au 20e siècle, le trafic de drogue était directement organisé par certains officiers de l’armée et de la police alors que maintenant, au pire, ils ferment les yeux.
Kamnan Nok qui, selon les médias, risque la peine de mort pour avoir organisé le meurtre d’un officier de police.
