Durant la première semaine de février, les gros titres de l’actualité thaïlandaise se focalisaient sur les « pantalons éléphants ». Les discussions ont porté sur la compétitivité commerciale et la propriété intellectuelle. La Thaïlande voulait en profiter pour accroître son soft power.
Selon un historien de la mode basé à Londres, faire d’une tendance de la mode un élément du soft power d’un pays soulève des questions sur ses origines.
Promouvoir une tendance de mode comme élément de soft power relève d’une vision à courte vue.
Pour les connaisseurs de mode, le « pantalon éléphant » pourrait être considéré comme un « sarouel » faisant son grand retour au 21e siècle mais créé dans les années 1910.
Le style, popularisé par Paul Poiret, comportait des vêtements festifs avec un pantalon ballon ajusté à la cheville.
Paul Poiret est un grand couturier et parfumeur français né en 1879 à Paris et mort en 1944. Connu pour ses audaces, il est considéré comme un précurseur du style Art déco. Il crée la maison de couture qui porte son nom en 1903.
Par ailleurs le sarouel est largement à la mode dans les milieux écologiques ou « cool » en Europe depuis 20 ans.
Les productions de Paul Poiret ressemblent beaucoup à ce que nous connaissons aujourd’hui en tant qu’élément essentiel de « l’uniforme touristique » en Thaïlande, porté avec des débardeurs, des t-shirts ou des chemises amples.
Partant, ce sont les touristes un peu baba ou bobo qui ont convaincu les Thaïlandais à s’intéresser à ce pyjama et non l’inverse. Il s’agit donc de soft power occidental.
«C’est formidable que cela soit devenu une tendance mondiale, mais en tant qu’élément de soft power thaïlandais, je pense que cela fait preuve d’une très courte vue de la part du gouvernement. Cela n’a rien à voir avec la mode », a déclaré Lupt Utama, historien de la mode basé à Londres nominé aux Emmy Awards.
Et rien à voir avec la grande ou petite couture.
L’utilisation de motifs d’éléphants n’est pas non plus nouvelle. Selon Lupt, « depuis les XVe et XVIe siècles, les éléphants sont des motifs sur les textiles. Du chintz indien exporté, par exemple.
Les éléphants apparaissent sur des articles de mode, comme ceux de Loewe en 2016, qui a réalisé un très mignon sac éléphant. Cela a été copié dans le monde entier par Zara. Même Jim Thompson a produit un sac shopping vraiment mignon, donc ce n’est pas nouveau ».
En fait, les motifs d’éléphants sont populaires en raison de leurs origines partagées par de nombreuses cultures. « Je pense que c’est aussi l’aspect culturel qui interpelle. Les éléphants dans la culture thaïlandaise ont de nombreuses significations, notamment la longévité et la sagesse. En Inde et dans de nombreux autres pays d’Asie du Sud-Est, les éléphants ont également une signification symbolique », a ajouté Lupt.
La Thaïlande peut-elle bénéficier d’une protection adéquate du droit d’auteur ?
L’industrie de la vente de souvenirs à travers le monde a une chose en commun : le label « fabriqué en Chine ». Des Statues de la Liberté aux t-shirts Union Jack à Londres, sans parler des Tour Eiffel, les occidentaux acceptent depuis longtemps le fait que les objets représentant leurs icônes culturelles sont fabriqués dans d’autres pays. Alors, qu’est-ce qui ferait de la Thaïlande un cas unique ?
Le Premier ministre Srettha Thavisin demande « Bénéficions-nous d’une protection adéquate des droits d’auteur ? »
A priori, non.
Pourtant, Le ministre du Commerce, Phumtham Wechayachai, a déclaré que « le motif de l’éléphant et celui du chat sont protégés par des droits d’auteur. Les modèles peuvent varier, mais nous examinerons les protections juridiques disponibles. Maintenant, nous nous coordonnons avec le service des douanes. Ils ont le pouvoir de contrôler toutes les marchandises entrant dans le pays.
Dans ce dossier, Phumtham avance en pointe. Et imprudemment.
Kingkarn Samon, de Chinrada Garment Company (CGC), qui produit des « pantalons éléphants » depuis plus d’une décennie, a déclaré à Thai PBS World qu’elle « ne sait pas dans quelle mesure il sera possible de demander la protection de la propriété intellectuelle à tous les modèles, quand il existe plus de 200 variétés ». La demande de protection de la propriété intellectuelle devra être déposée par l’entreprise qui conçoit les patrons et fabrique le tissu et non par le gouvernement.
Malgré les inquiétudes concernant la concurrence étrangère, Kingkarn a déclaré que ses chiffres de ventes n’avaient pas été affectés. « J’ai vérifié nos commandes en décembre et janvier et j’ai constaté une augmentation de 20 %. Nos ventes n’ont pas diminué à cause des pantalons éléphants fabriqués en Chine.
Elle pense également que les clients cibles sont différents, car les pantalons éléphants fabriqués en Thaïlande sont dotés de meilleurs matériaux et d’un meilleur savoir-faire.