
Les vétérans en première ligne samedi lors de la manifestation ultranationaliste.
Sous un soleil de plomb, des milliers de manifestants, souvent âgés, se sont rassemblés au Monument de la Victoire pour soutenir les troupes thaïlandaises engagées à la frontière cambodgienne et exiger la démission immédiate de Paetongtarn Shinawatra, Première ministre suspendue. Ce rassemblement, organisé par le groupe conservateur Ruam Palang Phaendin, marque une nouvelle montée du nationalisme dans un pays où l’armée et les élites royalistes conservent une influence politique majeure.
Les affrontements entre les forces thaïlandaises et cambodgiennes ont ravivé les tensions historiques entre les deux pays. Mais c’est la gestion jugée trop conciliante de Paetongtarn qui cristallise la colère. Elle est désormais la cible principale d’un mouvement qui mêle patriotisme, rancune politique et xénophobie.
Les revendications des manifestants sont claires : la démission immédiate de Paetongtarn, le retrait des partis pro-armée de la coalition gouvernementale, et un engagement ferme pour défendre la souveraineté nationale. Les discours, parfois en khmer, visent autant Hun Sen que les Cambodgiens vivant en Thaïlande.
Plus inquiétant, l’un des meneurs, Jatuporn Prompan accuse le gouvernement d’avoir cédé le territoire du temple de Ta Kwai en vertu des termes du cessez-le-feu avec le Cambodge, une « fake news » flagrante.
Ce nationalisme exacerbé n’est pas nouveau. Héritier d’une idéologie forgée au XXe siècle autour du triptyque « nation-religion-monarchie », il s’est renforcé à chaque crise politique. Les Chemises jaunes, figures familières du rassemblement, incarnent cette tradition. Hostiles à la famille Shinawatra depuis des décennies, ils ont déjà contribué à renverser deux gouvernements élus, en 2006 et 2014, avec le soutien de l’armée.
Depuis fin juillet, plus de 100 000 travailleurs cambodgiens ont quitté la Thaïlande, fuyant un climat de peur alimenté par les tensions frontalières et des violences ciblées. À Bangkok, l’attaque d’un quartier cambodgien par des Thaïlandais galvanisés sur les réseaux sociaux a marqué un tournant.
L’exode a des conséquences économiques immédiates : les provinces de l’Est manquent de main-d’œuvre pour récolter les fruits, les chantiers ralentissent, les restaurants ferment. Mais au lieu d’apaiser les tensions, certains discours publics instrumentalisent cette crise pour renforcer le sentiment national.
Les experts en santé mentale tirent la sonnette d’alarme. Le sensationnalisme médiatique et les discours haineux sur les réseaux sociaux alimentent une xénophobie inquiétante. « Le nationalisme devient toxique lorsqu’il est fondé sur la peur et la désinformation », avertit le Dr Yongyud Wongpiromsarn, du département de la Santé mentale.
Le gouvernement thaïlandais tente de calmer le jeu. Le ministère des Affaires étrangères insiste sur le fait qu’il s’agit d’un conflit entre États, non entre peuples.
Au Monument de la Victoire, la foule, composée en grande partie de partisans royalistes et de nationalistes historiques, réclame un retour à l’ordre, à la discipline, et à une politique étrangère musclée.
La Thaïlande, qui a connu 13 coups d’État depuis 1932, semble une fois de plus à la croisée des chemins. Entre patriotisme légitime et dérives identitaires, le nationalisme thaïlandais montre son visage le plus dur — celui qui exclut, qui divise, et qui menace la stabilité régionale.
Alors que le nationalisme hystérique peut trouver un terreau dans des sociétés en développement où l’accès à l’éducation reste limité, comme le Cambodge, sa résurgence en Thaïlande, soulève de vives inquiétudes. Dans un pays doté d’infrastructures modernes, d’une économie ouverte et d’un secteur touristique dynamique, ce repli identitaire nuit au Soft power.
Le nationalisme thaïlandais, longtemps perçu comme un vecteur d’unité, semble glisser vers une forme d’obscurantisme incompatible avec les ambitions économiques du pays. Si cette dynamique se poursuit, elle pourrait compromettre les efforts de relance post-pandémie et fragiliser durablement la place de la Thaïlande sur la scène internationale.