Le projet de pont terrestre entre Ranong et Chumphon, une initiative phare menée par Srettha Thavisin, a été présenté comme le catalyseur de la croissance économique de la Thaïlande. Cependant, malgré la promotion assidue du gouvernement, le projet n’a pas réussi à susciter d’intérêt concret, tant au niveau international que national.
Cet article de Serichon – THAI ENQUIRER explore les subtilités géopolitiques entourant le projet en examinant le rôle de la Chine. Nous le complétons d’avis d’autres experts.
La stratégie géopolitique de la Chine joue un rôle central dans la compréhension du projet Land Bridge. Le dilemme de Malacca ! La Chine ne supporte plus sa forte dépendance au détroit de Malacca et c’est pour plaire à la Chine que la Thailande s’est lancée dans ce projet : Pont terrestre de Ranong à Chumphon, bateau de Chumphun à Laem Chabang, TGV jusqu’en Chine. La Thailande n’a que faire de ce pont terrestre sinon satisfaire l’empire du milieu.
Et maintenant, voilà que le projet Land Bridge ne suscite plus l’intérêt de la Chine, comme en témoigne sa préférence pour les investissements au Myanmar.
Les investissements substantiels de la Chine au Myanmar, tels que le port en eau profonde de Kyaukphyu, dans l’État de Rakhine (proche du Bangladesh), et les projets de pipeline sino-birman, soulignent l’engagement du pays à sécuriser des routes alternatives et à protéger ses intérêts stratégiques. Avec ce port, la Chine évite Malacca mais aussi la mer d’Andaman.
L’implication de la Chine dans la guerre civile en cours au Myanmar souligne encore davantage cette priorité stratégique. L’objectif premier de la Chine est de sauvegarder ses investissements au Myanmar, port et pipeline. Il est plus facile pour la Chine de négocier avec une Birmanie à l’agonie qu’avec la Thailande encore relativement riche. La Birmanie possède une frontière avec la Chine, ce qui n’est pas le cas de la Thailande.
On a vu comment la Chine avait « gobé » le Laos, si elle intègre la Birmanie de la même façon, la Thailande ne présente plus d’intérêt pour elle. Les TGV thaïlandais qui devaient servir la Chine et qui donc auraient pu être financés par icelle ne sont plus des axes commerciaux primordiaux mais juste des voies de chemin de fer à l’intérieur d’un royaume. Il est résultera que la Chine ne fera pas d’effort financier et ne se dépêchera pas de construire les lignes que les Thaïlandais sont bien incapables de mettre en place.
Sans la participation de la Chine, les seuls bénéficiaires potentiels du projet de pont terrestre sont le Japon, la Corée et Taïwan. Les économies marginales réalisées grâce au Land Bridge ne semblent pas suffisantes pour attirer ces pays. Par conséquent, le projet Land Bridge n’a plus aucun sens manquant à la fois du soutien financier et du soutien géopolitique nécessaire à sa réalisation.
Ce projet est emblématique des erreurs systématiques de la politique étrangère thaïlandaise. La Thaïlande pense encore comme à l’époque de la guerre du Vietnam, axées sur l’attraction des investissements étrangers en provenance de grandes économies comme les États-Unis, le Japon ou la Chine. Cependant, à une époque de mondialisation inversée, la politique étrangère de la Thaïlande manque d’une stratégie régionale avec les pays du Mékong et l’ASEAN.
Dans un scénario où la Thaïlande mènerait des activités d’intégration économique dans le Mékong, le pont terrestre pourrait jouer un rôle, servant de porte d’entrée économique à 300 millions de personnes. Mais si l’intérêt du projet devient régional, son financement doit être régional. Par ailleurs, il ne faut pas non plus se leurrer, quand on parle de région Mékong, finalement le seul pays bénéficiaire serait le Vietnam. La Thailande financerait alors le développement du Vietnam ? Est-ce que cela vaut le coup de se lancer dans de tels grands travaux ?
Sans intérêt de la part de la Chine ou sans intégration régionale, le Land Bridge risque d’en rester au stade de projet. La politique étrangère de la Thaïlande doit évoluer en jouant un rôle plus dominant dans la région. Chaque coup d’état affaiblit l’influence de la Thailande qui devrait être le phare de l’ASEAN. Elle laisse ce rôle aux autres surtout lorsqu’elle soutien objectivement la junte birmane comme c’est le cas depuis le début.
La question qui se pose maintenant c’est de savoir si le gouvernement saura reconnaître qu’il s’est trompé quant au soutien chinois et abandonnera un projet qui va endetter le royaume sans aucun espoir de rentabilité ou bien est-ce que, par orgueil, il va aller au bout, mettant à genoux une Thailande déjà chancelante.
Un simple coup d’œil sur cette carte montre que le pont terrestre thaïlandais est hors sujet pour la Chine.
