Dans le décompte officiel, Pita Limjaroenrat, du parti vainqueur des élections, a obtenu 324 voix pour (dont 13 sénateurs), alors qu’on a compté 182 voix contre et 199 abstentions. Il lui fallait 375 voix (après la démission d’un sénateur). On voit mal comment et pourquoi 51 parlementaires, souvent âgées et réactionnaires, changeraient d’avis.
« Je l’accepte mais je n’abandonne pas », a été la première réaction de Pita Limjaroenrat jeudi soir. Après l’annonce du résultat, M. Pita a déclaré qu’il y avait beaucoup de pressions sur les sénateurs car beaucoup d’entre eux étaient absents jeudi.
« Il y a eu des pressions et des incitations », a-t-il déclaré sans donner plus de détails. « Ils n’ont pas été autorisés à voter en harmonie avec le peuple. » Plus de 30 sénateurs étaient absents de la réunion. Certains étaient partis à l’étranger et d’autres ont quitté l’hémicycle.
« Je remercie les 13 sénateurs qui ont voté pour moi. Je trouverai les raisons des absences de certains », a déclaré M. Pita. Il a dit qu’il essaierait de trouver des stratégies pour recueillir suffisamment de soutien lors du prochain tour du vote.
Le président du Parlement, Wan Muhamad Noor Matha, a prévu les deuxième et troisième tours de scrutin les 19 et 20 juillet. On ne sait pas encore si le nom de M. Pita sera proposé un jour ou les deux. Nombre d’opposants ne veulent pas que Pita ait une deuxième chance.
Avant le vote de jeudi, beaucoup de parlementaires ont attaqué le Move Forward sur son projet d’amendement de la loi de lèse-majesté. Un projet pourtant très modeste.
Certains ont suggéré que si le parti décidait de faire des compromis et d’abandonner de projet de loi, M. Pita pourrait remporter la majorité au 2nd tour.
Après le vote de jeudi, les journalistes ont demandé à M. Pita si son parti modifierait sa position sur la loi de lèse majesté ou article 112 du Code pénal. « Le projet restera le même », a-t-il insisté. « Aujourd’hui, nous avons eu de nombreuses occasions d’expliquer la question au parlement et c’était une bonne chose. ».
Lorsqu’on lui a demandé s’il était prêt à être dans l’opposition si les choses ne se passaient pas dans son sens, M. Pita a déclaré qu’il se concentrait pour l’instant sur la préparation du second tour.
Sans donner plus de détails, Pita a déclaré qu’il avait des idées pour augmenter de manière décisive le nombre de sénateurs votant pour lui la prochaine fois.
Selon Saksith Saiyasombut, analyste de Channel News Asia, la journée de jeudi est un échec politique pour la Thaïlande, mais ce n’est pas la faute de Pita. C’est l’héritage de la période de la junte après le coup d’état de Prayut ’14-’19. En effet, la constitution actuelle a été rédigée au mépris des députés élus.
Le fait que les ultra-conservateurs se focalisent sur les modifications de lèse-majesté révèle qu’ils n’ont aucun autre argument contre Move Forward.. Il n’y a pas si longtemps, ils se seraient lancés dans une frénésie royaliste dont il ne reste plus que les miettes.
Enfin, cette remarque de Pita a marqué Saksith : « Je souhaitais que votre décision reflète les espoirs du peuple et non vos propres peurs. De toute évidence, cela ne fut pas le cas et pourrait ne pas arriver si tôt, si les choses restent les mêmes la semaine prochaine. Mais les choses ne peuvent pas rester les mêmes indéfiniment. »
Le problème est bien là, les vieux sénateurs et royalistes ne veulent pas que la Thaïlande change, ils ne veulent pas mourir et ils ne veulent pas que les jeunes, aux idées bien différentes, grandissent mais ils mourront tout comme les jeunes auront 18 ans et voteront. Ils voteront contre les dinosaures.
La question de la suspension potentielle de Pita par la Cour constitutionnelle a également été soulevée.
Bien que la coalition dirigée par Move Forward soit restée unie derrière Pita, cela n’a pas suffi à lui faire franchir la ligne.
Ce qui se passera ensuite reste incertain, mais il existe un certain nombre de scénarios possibles.
Pita pourrait être renommé pour d’autres tours de scrutin. Un chef du Pheu Thai a indiqué que son parti soutiendrait Pita à trois tours de scrutin, et s’il perd toujours, la coalition devrait se réunir pour décider d’une autre ligne de conduite.
Reste à savoir si le Pheu Thai s’en tiendra à ce plan, mais ce qui est évident, c’est que personne ne veut de nombreux tours de scrutins. Les sénateurs et les députés d’autres partis peuvent s’opposer à un nouveau vote sur un candidat qu’ils ont déjà rejeté.
Compte tenu de la position ferme du MFP sur la question, il semble également inconcevable que Pita soit disposé à abandonner l’amendement de l’article 112 de sa plate-forme politique dans le but d’obtenir plus de voix.
Pita pourrait être suspendu en tant que député au cours des prochains jours par la Cour constitutionnelle, ce qui découragerait encore plus le Sénat à son égard.
Ce qui semble donc le plus probable à ce stade, c’est que Pita Limjaroenrat ne sera pas le 30e Premier ministre thaïlandais.
Alors qui ? Il reste les candidats Pheu Thai, ainsi qu’Anutin et Prawit.
Si la coalition reste soudée, un candidat du Pheu Thai avec soutien MFP sera élu et Srettha Thavisin est l’option la plus acceptable pour le Sénat, étant donné la mauvaise santé de Chaikasem et le nom de famille de Paethongtharn Shinawatra.
Le Pheu Thai n’a pas d’amendement à l’article 112 dans son programme législatif, mais certains sénateurs pourraient soutenir que le maintien du MFP dans la coalition indique que cette proposition n’a pas été entièrement abandonnée.
Dans ce cas, la seule solution pour sortir de l’impasse serait que les partis pro-armée Bhumjaithai ou Palang Pracharath aident Pheu Thai et que MF se retrouve dans l’opposition.
Une telle formule pourrait amener Prawit ou Anutin au poste de premier ministre mais cela obligerait le Pheu Thai à avaler de grosses couleuvres car ses députés ont toujours dit qu’ils ne s’allieraient jamais avec des putschistes ou pro-armée.
Ce serait le niveau zéro de la politique thaïlandaise. Un ancien ministre des affaires étrangères disait hier que la Thaïlande était déjà la risée du monde avec ce système qui nie le suffrage universel et qui, in fine, laisse des sénateurs, nommés par des putschistes, décider.
Un gouvernement non dirigé par Pita suscitera l’indignation des 14 millions d’électeurs de MF et sera considéré comme un déni de démocratie.
Avec deux plaintes sérieuses devant la Cour constitutionnelle contre M. Pita et le parti Move Forward lui-même, on craint que la situation ne se détériore davantage et que la Thaïlande plonge une nouvelle fois dans le chaos.
Pourtant, la proposition de modification de l’article 112 est une manière élégante de rendre le régime plus humain et moins moyenâgeux. En deux mots, selon le projet, seul le palais pourrait porter plainte pour crime de lèse majesté pour éviter un emploi injustifié de la loi. Et les peines seraient alignées sur ce qui se fait dans tous les autres royaumes du monde (1 à 3 ans de prison au lieu de 15).
Comme tout le monde le sait, rien n’est éternel, et la réforme est inévitable. Soit le régime le comprend et l’accompagne, soit, des circonstances dramatiques l’y contraindront. Move Forward agit pour le bien du régime.
Selon les chercheurs Kheetanat Synth Wannaboworn et Walden Bello de Focus on the Global South, Quoi qu’il arrive ces jours-ci, la Thaïlande est déjà entrée dans une nouvelle ère. L’importance de la victoire écrasante du MFP aux urnes a plusieurs dimensions.
Le vote des jeunes, générations Z et Y, a fait la différence dans le résultat électoral. Les parlementaires réformateurs ont une moyenne d’âge de 39 ans.
Les performances extrêmement médiocres (aux élections) de la coalition gouvernementale, ainsi que celles des partis traditionnels comme les démocrates qui ont coopéré avec les généraux, prouvent un rejet décisif de l’intervention militaire dans la politique.
Le MFP a redessiné une nouvelle carte politique du pays et le clivage rouge / jaune n’existe plus. Maintenant, c’est orange (mélange rouge et jaune) ou gris.
Le MFP a mené une campagne étonnamment différente en se concentrant sur les problèmes et les politiques au lieu de faire appel aux loyautés personnelles ou partisanes traditionnelles. Contrairement aux autres partis, il n’achetait pas de votes, et ce non seulement parce qu’il n’avait pas d’argent, mais par principe et en supposant que les gens en avaient assez de la vieille politique paternaliste et clientéliste, pour ne pas dire féodale. Avant les élections de mai, le parti a élaboré un programme basé sur 300 positions politiques, de la réforme militaire aux droits LGBTQ en passant par les droits des animaux, cherchant à montrer à l’électorat qu’il s’agissait d’une grande tente qui avait une place pour la préoccupation particulière de chaque électeur.
Mais même si le régime parvient à faire reculer une fois de plus la marée pour 4 ans, il lui semble impossible de résister plus longtemps à l’élan du Move Forward Party. Il entend haut et fort le message écrasant de l’électorat, à savoir : il est temps de se retirer pour que la Thaïlande puisse… aller de l’avant.
