
Sur le papier, les temples contestés entre la Thaïlande et le Cambodge sont possiblement cambodgiens. Les cartes historiques établies en 1907 par les autorités françaises et siamoises, ainsi que les décisions de la Cour internationale de justice (CIJ), donnent raison à Phnom Penh. Depuis des années, leur gestion était pourtant conjointe, dans un climat apaisé grâce à des règles tacites entre les deux pays.
Mais ce fragile équilibre a volé en éclats. Fin 2024, les relations bilatérales étaient pourtant au beau fixe : Bangkok et Phnom Penh évoquaient même une coopération sur les gisements d’hydrocarbures du golfe de Thaïlande. Un projet perturbé par des ultranationalistes thaïlandais, mais toujours sur la table.
Puis, au printemps 2025, tout bascule. Le Cambodge commence à masser des troupes près de la frontière, comme le montrent des images satellites. Les communications militaires se tendent. En mai, un soldat cambodgien est tué après une escarmouche autour du temple de Ta Moan Thom. Le ton monte. L’escalade suit. La tension était telle que la situation ne pouvait que dégénérer. Peu importe qui a tiré le premier.
Au cœur du tourbillon : Hun Sen, ancien Premier ministre et président du Sénat, père de l’actuel chef du gouvernement Hun Manet. Ses messages enflammés quotidiens et ses coups politiques ont polarisé l’opinion cambodgienne et torpillé toute tentative d’apaisement. Il a même réussi à fragiliser la Première ministre thaïlandaise Paetongtarn Shinawatra, jusqu’à sa destitution.
Pourquoi cet acharnement irrationnel ? Plusieurs hypothèses circulent :
Hun Sen chercherait à asseoir son autorité face à un fils trop bien vu sur la scène internationale.
Il voudrait également détourner l’attention d’une situation économique morose dans son pays.
Il tiendrait à solder à tout prix la dispute des temples de son vivant.
Il souhaiterait se venger de la famille Shinawatra, pour une raison inconnue.
D’autres évoquent l’éventuelle légalisation des jeux d’argent en Thaïlande, qui menace les casinos cambodgiens où Hun Sen posséderait des intérêts, ou encore les pressions liées aux réseaux d’escroqueries numériques installés au Cambodge et en Thaïlande.
Les modèles de Poutine et de Trump, qui prouvent qu’un dirigeant peut agir selon son bon plaisir ou même une fatigue mentale liée à l’âge, peuvent avoir influencé Hun Sen dans sa course en avant.
Sans oublier le soutien supposé de Pékin qui aurait pu l’aveugler.
Mais une chose est claire : le Cambodge, dans son bon droit historique, s’est engagé dans une série de provocations qui ont tourné à « la guerre la plus bête du monde ». Résultat : quelques mètres carrés perdus, notamment près de Preah Vihar, malgré une décision favorable de la CIJ en 2013. On se demande ce qui a convaincu Hun Sen que le Cambodge pourrait gagner. Mais, dans un pays où la presse n’est pas libre, la famille Hun pourrait bien transformer un revers en victoire.
MàJ : À l’issue de la réunion qui s’est tenue à Kuala Lumpur ce lundi soir, sous l’égide de l’ASEAN, la Chine et les États-Unis, avec le Premier ministre thaïlandais Phumtham Wechayachai et son homologue cambodgien Hun Manet, le Premier ministre malaisien Ibrahim Anwar a annoncé un cessez-le-feu inconditionnel à partir de minuit, la réunion des commandants militaires régionaux mardi matin et un Comité général des frontières le 4 août, organisé par le Cambodge. Le cessez-le-feu peut dérailler dès le départ si Hun Sen d’un côté et les militaires thaïlandais ultranationalistes de l’autre en décident ainsi.