
Le Premier ministre thaïlandais Anutin Charnvirakul a affirmé dimanche que presque toutes les zones « précédemment occupées » avaient été reprises, insistant sur le fait que la Thaïlande n’a jamais été l’agresseur. Cela signifie en creux que le Cambodge aura perdu toute proximité avec les territoires qu’il affirmait siens, en vertu de la carte dessinée en 1907 et internationalement reconnue.
Anutin s’estime aussi satisfaite des destructions massives d’armement cambodgien grâce aux bombardements de son armée.
Escalade militaire et diplomatie sous tension
Depuis début décembre, la frontière thaïlando‑cambodgienne est le théâtre de violents affrontements. Artillerie lourde, frappes aériennes et tirs de roquettes ont provoqué des dizaines de morts parmi les soldats, mais aussi des victimes civiles et un exode massif. Le Cambodge ne publie aucun bilan, mais on considère que ce dernier se compte plutôt en centaines de militaires décédés. Près d’un demi‑million de civils ont fui les zones de combat, des deux côtés. Les hôpitaux, notamment au Cambodge, soignent des blessés graves, et les témoignages de médecins et de familles expriment une lassitude profonde : « Nous voulons simplement la paix », confiait récemment une anesthésiste à Mongkol Borei.
La reprise des hostilités, plus longue et plus destructrice que le conflit de juillet, a stoppé net les échanges commerciaux évalués à 5 milliards de dollars et fragilisé la situation de centaines de milliers de travailleurs migrants cambodgiens en Thaïlande.
Bangkok insiste sur sa légitimité
Le gouvernement thaïlandais martèle qu’il n’a jamais été l’agresseur. Le Premier ministre Anutin Charnvirakul, en déplacement dans les zones touchées, affirme que les opérations militaires visent uniquement à « sauvegarder la souveraineté et restaurer la sécurité ». Les autorités dénoncent des provocations cambodgiennes, notamment des drones franchissant la frontière, et conditionnent tout cessez‑le‑feu à des garanties de sécurité et à la « volonté réelle » de Phnom Penh de mettre fin aux hostilités.
Le centre de presse gouvernemental rappelle que la Thaïlande n’a pas initié les affrontements et que son action repose sur des principes internationaux. Les évacuations dans les zones à risque restent totales, signe que la priorité affichée demeure la protection des civils. Le Cambodge affirme la même chose.
L’ASEAN en médiateur prudent
Face à l’inquiétude internationale, l’ASEAN tente de jouer les médiateurs. Réunis à Kuala Lumpur, les ministres des Affaires étrangères ont offert une plateforme de dialogue. Le Premier ministre malaisien Anwar Ibrahim, président de l’organisation, a exhorté Bangkok et Phnom Penh à « embrasser la sagesse et le respect mutuel ». Mais l’issue reste incertaine : l’ASEAN défend son principe de non‑ingérence et ne peut imposer de cessez‑le‑feu. Les États-Unis annoncent la fin des combats d’ici mardi 23.
Une guerre qui pèse sur les populations
Au‑delà des bilans militaires, les conséquences sociales sont lourdes. En Thaïlande, des familles réfugiées dans des camps reçoivent toujours des appels de banques ou d’usuriers pour leurs mensualités, alors qu’elles ont perdu leurs revenus depuis deux semaines. Côté cambodgien, plus de 700 000 travailleurs migrants ont quitté la Thaïlande, craignant hostilité et incertitude. Les ONG alertent sur une crise humanitaire durable.
Répercussions politiques à Bangkok
Le conflit ne se limite pas au champ militaire : il redessine la carte politique thaïlandaise. Jusque‑là critiqué pour son manque d’autorité, Anutin Charnvirakul profite de la crise pour afficher un leadership actif : visites sur le terrain, briefings quotidiens, coordination avec l’armée et les diplomates. Cette visibilité renforce son parti Bhumjaithai (BJT), qui gagne en crédibilité à l’approche des élections de février 2026.
À l’inverse, le principal parti d’opposition, le People’s Party (PP), voit son discours réformiste perdre de sa force. Ses appels à la retenue et à la diplomatie apparaissent décalés dans un contexte où la sécurité nationale domine. Les sondages montrent une forte indécision des électeurs, mais les analystes estiment que la situation favorise le BJT, capable de capitaliser sur l’image de fermeté vis-à-vis du Cambodge et une véritable synergie avec l’armée.
Une guerre pour les urnes ?
Certains critiques soupçonnent Anutin d’exploiter le conflit pour renforcer ses chances électorales. Le Premier ministre dément fermement : « Je n’ai pas le courage d’échanger des vies contre des votes », a‑t‑il déclaré. Pourtant, le doute persiste, alimenté par la proximité du scrutin et par l’absence de partis appelant ouvertement à un cessez‑le‑feu, de peur d’être accusés d’antipatriotisme.
Un avenir incertain
Deux semaines après la reprise des combats, aucune solution durable ne se profile. Les appels à la médiation internationale se heurtent à la méfiance mutuelle, et les populations des deux pays, galvanisées par les gouvernants et les réseaux sociaux, continuent de payer le prix fort. Si la crise perdure, elle pourrait non seulement aggraver le bilan humain et économique, mais aussi transformer radicalement l’équilibre politique en Thaïlande.



