Coup de théâtre politique jeudi soir en Thaïlande. Le Premier ministre Anutin Charnvirakul a annoncé la dissolution de la Chambre des représentants, une décision surprise qui intervient alors que son gouvernement fait face à une motion de censure imminente… et à une brusque reprise des affrontements armés avec le Cambodge.
Cette dissolution intervient au terme de plusieurs jours de combats le long de la frontière de Si Sa Ket, où un cessez-le-feu négocié par les États-Unis avait volé en éclats. Les échanges de tirs, qui ont ravivé un vieux contentieux territorial, ont galvanisé une partie de l’opinion publique. Anutin, qui adopte depuis plusieurs semaines une ligne dure, bénéficie désormais du soutien affiché de groupes ultranationalistes et conservateurs, déterminés à maintenir la pression militaire.
Le Premier ministre a rejeté toute idée de trêve, assurant qu’il ne céderait pas, même si l’escalade complique les négociations tarifaires en cours avec Washington. Ironie du calendrier : la dissolution est intervenue quelques heures avant un appel prévu du président américain Donald Trump, qui devait joindre Anutin et son homologue cambodgien Hun Manet pour tenter de rétablir le calme. Trump avait déjà réussi à imposer une trêve après les combats de juillet.
Une crise politique qui s’ajoute à la crise sécuritaire
Pour Anutin, cette flambée de tensions tombe presque « à point nommé ». Le chef du gouvernement était sous le feu des critiques après les inondations meurtrières de fin novembre dans le Sud, qui ont fait près de 270 morts dans la région de Hat Yai. L’opposition Pheu Thai avait préparé une motion de censure, finalement repoussée pour laisser place aux secours d’urgence.
Mais la situation politique restait fragile. Anutin dirige un gouvernement minoritaire, soutenu depuis septembre par le People’s Party, pourtant principale force d’opposition. Ce soutien avait déjà provoqué la colère des électeurs de Pheu Thai, d’autant que le candidat du People’s Party promettait, lui, une dissolution immédiate.
Le fragile équilibre a volé en éclats le 11 décembre, lors d’une session parlementaire consacrée à la réforme constitutionnelle. Le Bhumjaithai Party d’Anutin, jusque-là allié du People’s Party, a finalement voté avec les sénateurs conservateurs pour rétablir une règle exigeant qu’un tiers du Sénat approuve toute révision de la Constitution. Une ligne rouge pour le People’s Party, qui a aussitôt commencé à rassembler les signatures nécessaires à une motion de censure.
« Je rends le pouvoir au peuple »
Face à l’impasse, Anutin a dégainé l’arme ultime : la dissolution. À 22 h 05, un message Facebook annonce la nouvelle : « Je rends le pouvoir au peuple ». Quelques minutes plus tôt, la demande de dissolution avait déjà été transmise pour approbation royale. La Gazette royale a publié le décret royal dissolvant la Chambre des représentants, vendredi matin, ouvrant la voie à des élections générales dans un délai de 45 à 60 jours.
Désormais, la Thaïlande se dirige vers des élections anticipées, dans un climat électrique mêlant crise politique, tensions militaires et bataille pour le contrôle de la future Constitution. Dans un royaume où les citoyens sont chauffés à blanc par les nationalistes, nul doute qu’Anutin se présentera comme le meilleur rempart contre l’ennemi khmer, ne serait-ce que par ses liens privilégiés avec l’armée.
