Le roi Maha Vajiralongkorn a approuvé mercredi la désignation du nouveau Premier ministre de la Thaïlande, Srettha Thavisin, qui doit entrer en fonctions dans la soirée, dans un contexte politique rendu difficile par son alliance avec les généraux.
De son côté, L’ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra, écroué mardi à son retour en Thaïlande après quinze ans passés à l’étranger pour échapper à des condamnations, a été transféré dans un hôpital de la police, a indiqué mercredi l’administration pénitentiaire.
«Il souffre de plusieurs maladies, notamment du cœur, qui ont besoin d’être traitées et l’hôpital de la prison ne dispose pas du matériel adéquat», a déclaré Sitthi Sutivong, porte-parole du service correctionnel. «Le médecin a dit que pour éviter le risque de mettre sa vie en danger, il fallait l’envoyer à l’hôpital de la police», dans le centre de Bangkok, a-t-il poursuivi.
Le milliardaire, âgé de 74 ans, a été transféré mercredi, à 0h45, après que des responsables médicaux ont signalé ses problèmes d’insomnie, d’hypertension artérielle et de manque d’oxygène dans le sang, selon la même source.
Le 14e étage de l’hôpital de la police situé en plein centre de Bangkok où réside Thaksin peut être considéré comme un établissement de luxe. Sa chambre s’appelle « suite royale ». Il a vu sur le parc hippodrome de Ratchadamri. Cependant, la police affirme ce mercredi que la climatisation de la chambre est en panne et n’explique pas pourquoi elle ne répare pas…
Depuis l’étranger, il a conservé de l’influence, par le biais de son parti, Pheu Thai, dont est issu le nouveau Premier ministre, Srettha Thavisin, désigné mardi par le Parlement. Le retour au pouvoir de Pheu Thai, au prix d’une alliance controversée avec l’armée, pourrait lui permettre un aménagement de peine.
Il sera resté 12 heures à l’hôpital de la prison, effectivement inadapté. A l’hôpital de la police, il se retrouve dans des conditions de confort parfaites.
L’accord du gouvernement exclut la formation réformiste Move Forward, vainqueur des élections du 14 mai, dont la position vis-à-vis de la monarchie est jugée trop radicale par l’establishment conservateur qui domine les institutions.
La division politique « les rouges contre les jaunes » qui polarise le pays depuis 15 ans devrait prendre fin. Et ce sont les oranges (Move Forward) qui endossent le statut d’ennemi privé numéro 1 du régime.
Pheu Thai s’est allié aux partis des généraux putschistes, toute honte bue.
Wanwichit Boonprong, de l’Université de Rangsit, considère que « L’évolution des circonstances politiques les a forcés à coexister. Je pense également que le nouveau gouvernement durera assez longtemps. Pheu Thai devra se transformer en un parti conservateur et tenter de convaincre l’extrême droite de se rallier à lui », a déclaré M. Wanwichit.
Il a ajouté que le pouvoir des « trois putschistes » allait désormais diminuer. Cela fait référence au général Prayut, au général Prawit et au ministre de l’Intérieur général Anupong Paojinda, ainsi qu’à leur influence sur la politique thaïlandaise.
M. Wanwichit a noté que la plupart des sénateurs qui ont voté pour M. Srettha sont proches du général Prayut et que les sièges du cabinet attribués à l’UTN devraient être de premier ordre pour récompenser Prayut.
« La situation politique d’aujourd’hui est une petite victoire pour Thaksin. Mais cela a un prix car le Pheu Thai fait face à une crise existentielle « , selon. Wanwichit.
Pheu Thai fait l’objet de vives critiques pour sa trahison.
« Une fois le nouveau gouvernement formé, Pheu Thai devra s’efforcer de regagner la confiance de ses partisans », a déclaré M. Wanwichit.
Selon une source, Thaksin, qui est considéré comme le chef de facto du Pheu Thai, attache plus d’importance au général Prayut qu’au général Prawit.
La source a déclaré que le général Prayut proposerait le général Natthapol Nakpanich, du Conseil national de sécurité, pour le poste de ministre de la Défense, tandis que le général Prawit souhaite que soit le général Thephasdin Na Ayutthaya, OU son frère cadet et ancien chef de la police nationale, le général Pol Patcharawat Wongsuwon. Le choix de ce ministre donnera une indication claire.
Choisir un proche de Prayut pourrait empêcher tout futur coup d’État.
Rares sont les événements en Thaïlande qui pourraient éclipser l’élection d’un nouveau Premier ministre. Le retour de Thaksin en fait partie. Les événements d’hier n’ont fait que réaffirmer la centralité de Thaksin dans le royaume.
Pourtant Thaksin a accumulé les erreurs. Le projet de loi d’amnistie proposé par le gouvernement de sa sœur Yingluck Shinawatra, qui l’aurait absous de toutes ses condamnations, a mené à un coup d’état et à neuf années de règne de Prayut. La décision du Thai Raksa Chart Party, une branche de PT, de nommer la princesse Ubolratana au poste de Premier ministre en 2019 s’est soldée par la dissolution de ce parti. Et Pheu Thai a mené cette année une campagne électorale extrêmement décevante qui s’est soldée par la première défaite électorale d’un parti thaksinite au cours des deux dernières décennies.
Ironiquement, cependant, c’est ce dernier échec et la victoire des progressistes qui a ouvert la voie au retour de Thaksin.
L’émergence du parti Move Forward a créé un ennemi commun contre lequel les camps « jaune » et « rouge » en guerre depuis longtemps ont pu s’unir.
Pheu Thai et Move Forward ont des visions du monde radicalement différentes. Clientélisme contre programme innovant.
Et juste au bon moment, Thaksin est revenu, le jour même du vote qui propulsait « son » gouvernement au pouvoir. Thaksin était très confiant quand il a atterri.
Srettha doit sa victoire moins à ses propres prouesses électorales qu’à la nostalgie des électeurs de Pheu Thai pour leur chef spirituel. Il semble manquer d’une base solide au sein du parti, ayant été parachuté du monde des affaires sans aucune expérience politique préalable ; il est donc redevable aux chefs du parti.
Srettha entrera également en fonction en tant qu’acteur politique beaucoup plus faible que les précédents premiers ministres Pheu Thai et assimilés.
D’une part, il ne dirige pas un parti qui a gagné ; au lieu de cela, il est le candidat d’un parti qui a perdu les élections. Pire, il ne s’appelle pas Shinawatra.
C’est peut-être la raison pour laquelle le retour de Thaksin, même en tant qu’ancien Premier ministre incarcéré, est une nouvelle plus importante que Srettha devenant le nouveau Premier ministre. D’autant que Thaksin n’est déjà plus en prison. Il pourra recevoir sa cour dans le luxe de sa suite.
Pourtant, attention ! Même s’il n’est pas tout à fait otage, étant donné que Pheu Thai dirige désormais le gouvernement, Thaksin ne peut plus agir aussi librement qu’auparavant. Et loger à l’hôpital de la police en fait, de facto, un otage.
D’ailleurs, dans la coalition de Srettha, le Pheu Thai est numériquement minoritaire vis à vis des partis de la précédente coalition Prayut. Pheu Thai pourra-t-il mettre en place sa politique ? On imagine que la vision progressiste de la défunte coalition dirigée par Move Forward est enterrée.
Le slogan électoral de Move Forward, vainqueur, était « votez pour Move Forward et la Thaïlande ne sera plus jamais la même ». Or la journée du 22 août repasse des plats bien faisandés. Donc la vie politique thaïlandaise n’a pas changé mais la population a peut-être quand même changé et dans ce cas le régime sera encore plus détesté qu’auparavant.
Srettha Thavisin, avance donc en terrain miné.
Sa coalition comprend trop de partis ayant des idéologies, des politiques publiques et des intérêts particuliers opposés. Pacifier ces crocodiles et avoir en même temps un Cabinet efficace avec une éthique de premier ordre est tout simplement impossible.
Le « portefeuille numérique » et le cannabis seront les premiers sujets qui fâchent mais le pire seront les amendements à la constitution d’autant que Srettha sentira la présence suffocante de Thaksin. De plus Pheu Thai devra regarder par-dessus son épaule car chaque perte de popularité sera un gain pour Move Forward.
La politique étrangère peut également être un cauchemar, avec un gouvernement de coalition rempli de personnes profondément en désaccord sur le rôle des États-Unis et de la Chine. La rivalité accrue entre les superpuissances exigera probablement plus de clarté de la part de pays comme la Thaïlande. Le royaume peut s’en sortir par le haut si Srettha et son ministre des affaires étrangères (à nommer) se révèlent astucieux.
Prayut avait promis « la réconciliation » or il a divisé encore plus.
Que peut faire Srettha dans ce domaine ? Réconcilier Pheu Thai et le régime n’a rien à voir avec le souhait des Thaïlandais qui ont voté majoritairement contre ce régime le 14 mai.
D’ailleurs, Move Forward souhaite évidemment que le gouvernement Srettha s’effondre rapidement, car plus tôt les prochaines élections auront lieu, plus grandes seront les chances du parti de remporter une nouvelle victoire massive.
Srettha, quant à lui, voudra naturellement prendre son temps, sachant que signer trop tôt une dissolution de la Chambre équivaudrait à un suicide, pour lui-même, mais aussi pour l’ensemble du parti.
Tout le monde a dépassé le point de non-retour. Move Forward va bien au-delà de la zone de sécurité idéologique et pourrait être dissous rapidement. Pheu Thai est également trop loin à droite maintenant pour revenir là où il était. C’est la même chose avec UTN et Palang Pracharath, qui ont tout misé sur Srettha.
Arun du Matichon
La Thailande et les Thaïlandais hier, 22 août.
