Ce texte est inspiré d’un éditorial du Bangkok Post de mardi mais aussi des écrits d’experts depuis des décennies.
La Thaïlande s’est réjouie la semaine dernière lorsque l’ancienne ville de Si Thep, dans la province de Phetchabun, a obtenu le statut de site du patrimoine mondial de l’UNESCO. Si Thep, cependant, est bien plus qu’un simple site archéologique. C’est une fenêtre sur la société multiculturelle thaïlandaise avant l’émergence des royaumes et des États-nations. Si Thep est en train de remodeler l’histoire de la Thaïlande et devrait être intégré dans les manuels d’histoire du pays.
C’est important pour honorer la riche civilisation de Si Thep, mais également crucial pour contrer le nationalisme racial qui a longtemps marginalisé les autres ethnies du pays.
Si Thep, remonte à la fin de la période Dvaravati, il y a 1 500 à 1 700 ans. La ville a prospéré pendant sept siècles en tant que centre commercial, culturel et religieux reliant les plaines centrales et la région du nord-est. Les fouilles de sépultures ont également révélé un établissement humain encore plus ancien composé de villages agricoles préhistoriques remontant à 2 500 ans.
Couvrant 4,7 kilomètres carrés, la ville fortifiée et entourée de douves possède un système complexe de voies navigables et de réservoirs. Situé stratégiquement sur les routes commerciales et riche en ressources minérales, Si Thep compte plus de 100 temples et monuments. Le colossal Khao Khlang Nok, en particulier, est le plus grand stupa Dvaravati du pays.
Les cultes bouddhiques Mahayana et Theravada étaient pratiquées à Si Thep. La tolérance religieuse régnait puisque des statues de Vishnu, Ganesha et Surya montre une présence hindouiste. Si Thep possède encore de nombreux sites archéologiques inexplorés.
Après le changement des routes commerciales, Si Thep a commencé à décliner, ce qui a entraîné son abandon au XIIIe siècle et l’essor de Sukhothaï en tant que nouveau centre commercial et culturel.
Selon l’éminent anthropologue Srisakra Vallibhotama, l’ancienne ville de Si Thep remet en question l’histoire de la Thaïlande telle qu’inculquée à l’école.
Les manuels décrivent généralement l’histoire de la Thaïlande, en commençant par Sukhothai, le premier royaume du pays fondé par des personnes de race thaïlandaise qui ont émigré de Chine et envahi le haut Siam.
Après Sukhothai suivent les royaumes d’Ayutthaya, de Thonburi et de Rattanakosin qui exerçaient un pouvoir central sur le reste du territoire.
Ce récit historique a nourri l’idée selon laquelle la société thaïlandaise est racialement homogène et a affirmé la propriété thaïlandaise de la terre. Elle a été formalisée pour la première fois comme « histoire officielle » sous le règne du roi Rama IV en réponse au colonialisme occidental.
Le gouvernement Phibunsongkhram a ensuite renforcé ce récit « historique » afin d’enflammer le nationalisme. Les problèmes que cela a créés sont multiples.
Premièrement, cela a poussé diverses cultures régionales à se conformer aux normes de la plaine centrale, érodant ainsi l’identité régionales. Cela a également marginalisé d’autres ethnies, vivant sur le territoire depuis longtemps, en les considérant comme des étrangers et comme des menaces à la sécurité nationale simplement en raison de leurs différences. Cet héritage de nationalisme raciste imprègne les manuels scolaires, alimentant les préjugés raciaux et la discrimination dans la société et dans les politiques publiques.
On n’enseigne pas l’histoire dans les écoles mais un mélange de fables et de propagande. Les vrais historiens chercheurs sont régulièrement accusés de crime de lèse-majesté.
La violence étatique prolongée contre les musulmans dans le Sud profond, ainsi que les expulsions forcées des membres des tribus montagnardes, viennent de ces croyances profondément enracinées créée par l’ultra-nationalisme thaïlandais. Bien qu’elles vivent dans ces régions depuis des siècles, ces communautés indigènes sont toujours considérées comme des envahisseurs du territoire thaïlandais alors que c’est l’inverse, exactement comme les Indiens d’Amérique vus par les colons européens.
La civilisation Si Thep démystifie cet endoctrinement. Non seulement Si Thep est antérieure à Sukhothai, mais sa société était également multiculturelle, avec diverses confessions et ethnies coexistant harmonieusement.
Les relations de Si Thep avec d’autres « villes » des temps anciens avant Sukhothaï montrent une complexité riche et variée. Selon l’archéologue Srisakra, le premier royaume thaïlandais doté d’un système administratif et d’un pouvoir centralisés n’a émergé qu’au début de la période d’Ayutthaya sous le roi Boromtrailokkanat.
Le ministère de l’Éducation doit intégrer Si Thep dans les manuels d’histoire afin de fournir aux enfants un portrait plus précis du passé de la Thaïlande et de favoriser une compréhension des racines multiculturelles du pays et des contributions d’autres groupes ethniques à la société thaïlandaise.
Les Khmers, bien sûr, mais surtout les Mons sont bien souvent oubliés alors qu’ils sont les vrais fondateurs du bouddhisme tel que pratiqué au Siam (le professeur du roi Rama IV était un moine Mon). Les Mons vivaient à cheval sur l’ouest de la Thailande et l’est de la Birmanie. Plus important, les historiens considèrent que les personnes vivant dans le « royaume » Dvaravati étaient des Mons.
L’histoire du Lanna, des royaumes de Chiang Mai, Nan, Lamphun, Lampang mérite aussi d’être étudiée plus attentivement en raison de leur richesse culturelle et du fait qu’ils n’ont été intégrés à l’état central que récemment (19e siècle).
Un état d’esprit ouvert encourage le respect des autres groupes ethniques en tant que concitoyens égaux et ouvre la voie à la résolution des conflits.
L’ultranationalisme qui a perpétué la croyance selon laquelle les Thaïlandais sont les seuls propriétaires de ce pays a causé un préjudice considérable. La popularité de Si Thep doit mettre fin à cet endoctrinement par le système éducatif.
