Ce texte reprend certains éléments d’un article de CNA l’excellente chaîne d’info de Singapour. Nous en ajoutons d’autres.
BANGKOK : Rattana Mapaen, ouvrière thaïlandaise, travaille de longues heures pour gagner 500 bahts par jour.
En tant qu’unique soutien de famille, elle a besoin d’argent pour s’occuper des six personnes de son foyer : sa mère grabataire de 93 ans et ses enfants.
Lorsque l’ex homme d’affaires Srettha Thavisin a prêté serment en tant que Premier ministre en septembre, Mme Rattana et de nombreux citoyens thaïlandais à faible revenu comme elle étaient optimistes.
Mais plus de trois mois plus tard, c’est la douche froide :
« 100 jours se sont écoulés et je n’ai pas encore constaté d’améliorations concrètes », a-t-elle déclaré à CNA. « J’ai l’impression que le gouvernement ne dit que des mots vides de sens.
Mme Rattana faisait référence à l’allocation unique de 10 000 bahts pour chaque citoyen thaïlandais, promise par le gouvernement de Srettha.
Ce projet était une promesse électorale faite par le parti Pheu Thai de M. Srettha pour stimuler l’économie du pays. Elle coûterait au total 500 milliards de bahts.
Cependant, ce plan ambitieux suscite le scepticisme de certains économistes.
« Nous constatons que lorsque les pays effectuent des transferts monétaires, l’effet multiplicateur n’est pas très élevé. Si vous injectez 1 dollar dans l’économie par le biais de transferts monétaires, cela ne générera que 0,40 à 0,70 dollar supplémentaire dans l’économie. Les gouvernements espèrent plus », a déclaré le Dr Kirida Phaopichitr, de l’Institut thaïlandais de recherche sur le développement.
Les chiffres officiels montrent que près de 4 millions de personnes – soit 5,4 % de la population – vivent dans la pauvreté en Thaïlande.
Les ménages thaïlandais sont également parmi les plus lourdement endettés d’Asie.
Les améliorations pour la population thaïlandaise pourraient prendre du temps, les économistes s’attendant à ce que la reprise économique à long terme soit difficile. Srettha en convient.
Certains observateurs ont déclaré que le Premier ministre devrait disposer de plus de temps au-delà de ses 100 premiers jours pour mettre en œuvre ses initiatives.
Au cours des quelques mois qui ont suivi son entrée en fonction, M. Srettha a déjà effectué neuf voyages à l’étranger pour faire connaître la Thaïlande. Il s’agit notamment de l’Assemblée générale de l’ONU à New York, du forum de l’APEC à San Francisco, du Forum Route de la soie à Pékin et de voyages bilatéraux dans les pays voisins membres de l’ASEAN, le Cambodge. , Laos, Malaisie et Singapour. Il est cette semaine à Tokyo pour assister au sommet Japon-ASEAN.
Il est indéniable qu’il a mouillé la chemise à l’international pour promouvoir son pays. Il est évident que c’est un homme franc, sincère, volontaire et énergique, une denrée très rare dans le personnel politique en général.
Il a également dû faire face à la crise des citoyens thaïlandais pris dans le conflit Israël-Hamas. Il a pu se reposer dans cas sur son ministre des affaires étrangères et le président musulman de l’assemblée nationale.
L’analyste Siripan Nogsuan Sawasdee a déclaré que même si M. Srettha a fait preuve de détermination jusqu’à présent, l’homme de 61 ans doit travailler sur certaines questions clés, notamment surmonter la polarisation politique du pays.
« Il doit montrer qu’il est ici non seulement pour la relance économique, mais aussi pour combler le fossé creusé avec ceux qui se sentent trahis par le gouvernement Pheu Thai », a déclaré Siripan de l’université Chulalongkorn.
Elle fait référence au chaos politique qui a secoué le pays à la suite des élections générales de mai, qui ont finalement vu le parti Pheu Thai de M. Srettha abandonner son ancien allié le parti Move Forward, pourtant vainqueur des élections, pour former le gouvernement avec d’autres partis, y compris ceux liés aux putschistes de 2014.
Cette décision a été perçue par de nombreux électeurs comme une trahison , car le Pheu Thai a semblé abandonner ses idéaux de démocratie et le petit peuple pour se ranger derrière la bannière des conglomérats et de l’armée dans le but de reconquérir le pouvoir politique.
« Il doit panser la blessure de la société thaïlandaise causée par le traumatisme du précédent régime semi-militaire ou semi-autoritaire. », a déclaré Siripan.
Actuellement, les Thaïlandais se sentent toujours sous le même gouvernement avec simplement un nouveau premier ministre civil et dynamique.
Il doit également tenir ses promesses de campagne, notamment une réelle augmentation du salaire minimum et des bénéfices agricoles.
Toujours à l’étranger Srettha n’a pas forcément conscience du poids disproportionné pris par les ministres Bumjaithai, un parti qui ne possède que 71 députés sur 500. Membres du gouvernement précédent, proches de l’armée, ils donnent l’impression à la population que rien n’a changé.
Srettha donne l’impression ne ne pas vraiment avoir le pouvoir toujours détenu par le « régime » dont les conglomérats font également partie. On lui laisse simplement la tâche de « vendre » la Thailande à l’étranger.
Srettha doit aussi regarder derrière lui car le Pheu Thai souhaite une passation de pouvoir entre lui et Paethontarn Shinawatra à une « certaines échéance ».
L’obsession de distribuer de l’argent -qu’il n’a pas- fait oublier à Srettha ce qu’est la qualité de la vie. Mme Ratana veut des sous pour s’occuper de sa mère grabataire et de ses enfants mais si l’État fournissait des aides à domicile, les transports gratuits pour les enfants, etc. elle s’en sortirait soudain mieux.
De son côté, le Bangkok Post a laissé carte blanche à Thitinan Pongsudhirak le grand politologue de l’université de Chulalongkorn ce dimanche.
Pour lui, la précaire stabilité politique actuelle offre à Srettha la possibilité de faire sortir la Thaïlande de la médiocrité chérie par le général Prayut dont la devise semblait être stagnation, répression, déclin.
Cependant, le gouvernement est handicapé par son accord (dont le but était le retour tranquille de Thaksin Shinawatra) avec l’armée . Srettha ne peut pas vraiment dire aux ministres issus du gouvernement Prayut comment gérer leurs portefeuilles (ce qu’ils font à la manière Prayut). Mais tant que l’armée reste au gouvernement sous les faux nez du Bumjathai et autres partis, Srettha ne risque pas de coup d’État militaire.
Si la population considère que Srettha a échoué, le parti lancera Paetongtarn, la fille de Thaksin au poste de premier ministre mais pas avant mai 2024. En effet, à cette date le mandat du Sénat, nuisible pour la démocratie, aura expiré. Cependant, gageons que les sénateurs (nommés par la junte) défendront chèrement leur peau et chercheront à rester en place.
Srettha sait que Pheu Thai a perdu les élections mais il misait sur une grande réussite de ses politiques économiques pour rallier à lui les 14 millions de votants pour Move Forward. Pour l’instant, cela n’en prend pas le chemin.
Menace plus grave encore, La dissolution de Move Forward pourrait relancer l’instabilité avec la colère de la population.
Des réformes de la constitution promises par Pheu Thai pourraient relancer l’instabilité politique avec la colère du régime.
Thitinan conclut : Les risques de troubles sociaux observés au cours des deux dernières décennies perdurent.
