à partir de l’analyse de Ken Mathis Lohatepanont, THAI ENQUIRER
En mai, le Premier ministre Prayut Chan-o-cha a fêté ses neuf ans au pouvoir. Dans la politique thaïlandaise, il s’agit d’un mandat remarquablement long, dépassant même le règne de huit ans de Prem Tinsulanonda dans les années 1980 ; depuis le mandat de Thanom Kittikachorn de 1963 à 1973, aucun dirigeant n’a été en poste pendant plus de neuf ans.
Compte tenu d’un règne aussi long – avec cinq ans où il a exercé le pouvoir absolu après son coup d’état – Prayut a bénéficié des meilleures opportunités pour la planification et les réalisations économiques à long terme. La Thaïlande est un pays à la recherche de nouveaux moteurs de croissance, car il est coincé depuis trop longtemps dans le piège du revenu intermédiaire. Conscient de cela, le gouvernement de Prayut s’est fixé pour objectif de faire de la Thaïlande un pays développé d’ici 2037. C’est à dire un pays qui créée (comme la Corée a su le faire) et non qui produit mécaniquement.
L’Institut thaïlandais de recherche sur le développement (TDRI) a récemment publié un rapport évaluant le second mandat de l’administration Prayut. C’est l’un des rares rapports publiés à ce jour évaluant de manière globale le bilan politique du gouvernement Prayut.
L’ère Prayut a-t-elle fait progresser la compétitivité économique de la Thaïlande ? Le rapport zoome sur trois domaine : la stratégie industrielle, les infrastructures et l’éducation. On voit qu’il ne s’intéresse pas au développement humain pourtant lié à l’économie.
L’un des programmes phares du gouvernement Prayut est le corridor économique oriental, conçu pour attirer de nouvelles industries à innovation intensive appelées « courbe en S ». Le rapport constate que la CEE a très bien réussi à attirer de nouveaux investissements, en particulier dans les industries existantes telles que l’électronique et l’automobile. Cependant, la CEE n’a pas attiré les industries de la courbe en S, telles que la robotique.
« On peut dire », indique le rapport TDRI, « que la CEE a fait progresser les industries existantes, mais n’a pas réussi à créer de nouvelles industries ». Vu sous cet angle, compte tenu de la nécessité d’une restructuration économique qui ferait de la Thaïlande une économie plus innovante, les efforts du gouvernement Prayut n’ont pas porté leurs fruits. Prayut semble être resté « concentré sur la Thaïlande en tant que centre de fabrication plutôt qu’en tant qu’innovateur en soi ». Or pour devenir un pays riche, la Thailande doit innover. Ce sont des notions difficiles à comprendre pour un militaire de carrière à la retraite.
Là où le gouvernement de Prayut a obtenu un succès incontestable, c’est dans la construction d’infrastructures, à la fois physiques et numériques. Le rapport TDRI note que bien que plusieurs projets aient été retardés par la pandémie et alors que les lignes ferroviaires de la CEE restent en rade, l’administration Prayut a mené à bien de nombreux projets de transport public, en particulier à Bangkok.
Pendant ce temps, les services numériques tels que Promptpay ont fait un bond en avant pendant la pandémie, faisant beaucoup progresser l’économie numérique thaïlandaise. La qualité des connexions Internet du pays (fibre et 5G) se classe parmi les meilleures du monde. Dans le même temps, cependant, la vague de législations liées au numérique que le gouvernement a promulguées n’a pas encore abouti à des résultats concrets.
Le plus gros problème relevé par le rapport TDRI est celui, récurrent, de l’éducation. Le rapport souligne que le programme scolaire de base n’a pas été révisé depuis 15 ans, et malgré les premiers efforts du gouvernement pour construire partiellement un nouveau programme basé sur les compétences, les acteurs politiques ont refusé d’autoriser son utilisation, ce qui signifie que le pays a perdu une opportunité de moderniser son enseignement. Prayut a déclaré à plusieurs reprises que les contenus avaient moins d’importance que les valeurs morales à l’école. Cette approche réactionnaire fut contre productive car elle a braqué les jeunes contre le pouvoir et comme le contenu ne s’est pas amélioré, le système éducatif a régressé, empêchant la Thailande de devenir un jour un pays riche.
Tout cela révèle une image mitigée de ce que Prayut et son gouvernement ont réalisé pour faire progresser la compétitivité de la Thaïlande : à la fois des succès clairs et des échecs évidents. Le gouvernement a posé d’importantes fondations infrastructurelles, mais la Thaïlande semble toujours à la recherche d’une stratégie en matière de restructuration économique. En l’absence de vraies formations à l’école et à l’université, les jeunes Thaïlandais manquent des compétences nécessaires pour réussir dans l’économie du savoir du XXIe siècle.
Que fera le prochain gouvernement thaïlandais pour tirer parti de ces efforts, ou quelle nouvelle direction il adoptera. Pour l’instant, les signes sont inquiétants. Pendant la campagne électorale, presque tous les partis politiques se sont beaucoup plus concentrés sur des promesses populistes que sur une stratégie économique à long terme ou sur l’éducation .
Comme si distribuer 10000 bahts aux gens allaient créer les prix Nobel dont la Thailande a besoin. Le pays a besoin de crèches, ce qui relancerait la natalité, d’activités extrascolaires (art, sport) qui incitent à la créativité, d’assistance sociale qui éviterait tous les drames et crimes liés à la misère, de prise en charge empathique des personnes âgées de plus en plus nombreuses, etc.
La nouvelle administration Pheu Thai peut espérer être en mesure de rattraper le fiasco de ses trahisons vis à vis de Move Forward par des programmes de dépenses à court terme qui, espère-t-elle, conduiront l’électorat à pardonner et à oublier. Cependant, il rendra un bien meilleur service à l’électorat à long terme en se concentrant sur les réformes économiques structurelles nécessaires. Cela l’obligera à examiner honnêtement où le gouvernement précédent a réussi, où il a échoué et quels ajustements sont nécessaires pour faire à nouveau de la Thaïlande une puissance économique véritablement compétitive.

