La Thaïlande agit comme ceux qui mettent Russie et Ukraine sur un pied d’égalité oubliant que l’une a envahi l’autre. Il n’y a pas deux clans équivalents en Birmanie mais une junte violente et mafieuse d’une part et un peuple représenté par un gouvernement élu et renversé d’autre part.
En privilégiant clairement la junte birmane, la Thaïlande instille l’idée que les coups d’état sont un mode acceptable pour arriver au pouvoir. Prayut, le premier ministre actuel est lui-même un putschiste, toujours pas poursuivi par la justice. Plus grave, cela légitime des coups d’état à venir. En Thaïlande, bien sûr, mais aussi ailleurs et ce prouve le peu de cas que Prayut fait de la démocratie.
De même, la junte birmane n’est pas un interlocuteur fréquentable puisqu’elle tue son propre peuple, comme Bachar El Assad en Syrie. En acceptant de lui parler, la Thaïlande banalise les crimes de guerre et crimes contre l’humanité. La place de la junte n’est pas dans les salons confortables de Bangkok mais sur les bancs du tribunal de La Haye.
Enfin, en s’alignant sur Moscou et Pékin, soutiens de la junte birmane, Prayut poursuit deux buts en interne. D’une part, le recentrage à venir d’une possible administration Pita ressemblera à un acte pro-américain et d’autre part, dans la cas où l’armée thaïlandaise fomente un nouveau coup d’état, elle pourra compter sur la Chine et la Russie.
QUE SE PASSE-T-IL AU MYANMAR ?
Les efforts déployés par la Thaïlande pour persuader ses voisins de renouer avec les généraux au pouvoir au Myanmar, qui ont été ostracisés, ont reçu un accueil mitigé, car on craint qu’ils ne compromettent l’effort de paix officiel de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN).
Le Myanmar est en proie à la violence et à l’instabilité depuis le coup d’État militaire de 2021 et la répression meurtrière des manifestations en faveur de la démocratie, au cours desquelles des centaines de personnes ont été tuées et des milliers d’autres arrêtées, avec de nombreuses allégations de détention arbitraire, de disparitions forcées et de torture.
Un mouvement de résistance allié à un gouvernement fantôme et à plusieurs armées de minorités ethniques a intensifié les attaques de guérilla contre l’armée, qui a répondu par des tirs d’artillerie et des frappes aériennes et qui, selon les experts des Nations unies, a commis des atrocités à l’encontre de la population civile. Selon l’ONU, plus d’un million de personnes ont été déplacées. La junte affirme qu’elle combat des « terroristes ».
QUEL EST LE RÔLE DE L’ASEAN ?
Il y a deux ans, les dix membres de l’ASEAN ont convenu d’un plan de paix avec la junte du Myanmar, mais peu de progrès ont été réalisés dans la mise en œuvre du « consensus en cinq points », comme ce plan est connu.
Le bloc a interdit aux généraux du Myanmar de participer aux sommets internationaux organisés par l’ASEAN tant qu’ils n’auront pas démontré leur engagement à mettre en œuvre l’accord, qui prévoit la cessation des hostilités, l’instauration d’un dialogue inclusif et l’octroi d’un accès total à l’aide humanitaire.
La patience s’épuise au sein de l’ASEAN et, malgré sa politique de non-ingérence dans les affaires de ses membres, l’Indonésie, Singapour et la Malaisie ont adopté une ligne dure à l’égard de la junte en lui adressant une série de reproches d’une fermeté inhabituelle.
QUELLE ÉTAIT LA PROPOSITION DE LA THAÏLANDE ?
Dans une lettre dont Reuters a eu connaissance, le ministre thaïlandais des affaires étrangères, Don Pramudwinai, a rapidement invité ses homologues de l’ASEAN, y compris le Myanmar, à un « dialogue informel » qui ferait « partie des premières étapes » de la relance du processus de paix.
M. Don a noté qu’un pays avait proposé, lors du sommet de l’ASEAN du mois dernier, que l’organisation « réengage pleinement » la junte et qu’il n’y avait « aucune voix dissidente explicite ».
Toutefois, un tel réengagement irait à l’encontre de la décision prise par les dirigeants de l’ASEAN lors de ce même sommet de continuer à mettre la junte à l’écart.
QUELLE A ÉTÉ LA RÉPONSE ?
Les critiques considèrent que la décision du gouvernement intérimaire thaïlandais légitime la junte, outrepasse son autorité et sape les efforts de l’Indonésie en tant que présidente de l’ASEAN, alors qu’elle invoque les progrès accomplis dans la tenue de dizaines d’engagements avec de multiples parties prenantes au conflit.
Les ministres des affaires étrangères de Singapour, de l’Indonésie, de la Malaisie, du Viêt Nam, du Cambodge et des Philippines avaient décliné l’invitation pour diverses raisons. Une source au fait de la réunion a déclaré que le Laos était le seul pays à avoir envoyé son plus haut diplomate en dehors du Myanmar et de la Thaïlande, pays hôte, tandis que d’autres avaient envoyé des représentants moins expérimentés.
La semaine dernière, le ministre des affaires étrangères de Singapour a déclaré qu’un réengagement serait prématuré, tandis que la Malaisie a déclaré qu’il était important que l’ASEAN fasse preuve d’unité en soutenant l’effort de paix de l’Indonésie.
Dans sa réponse à l’invitation thaïlandaise, la ministre indonésienne des affaires étrangères, Retno Marsudi, a déclaré, dans une lettre vérifiée par Reuters, qu’il n’y avait pas de consensus au sein de l’ASEAN pour « renouer le dialogue ou développer de nouvelles approches » sur le Myanmar et qu’il était « essentiel de préserver l’élan actuel ».
POURQUOI LA THAÏLANDE PRÔNE-T-ELLE LE RÉENGAGEMENT ?
La Thaïlande entretient des relations complexes avec le Myanmar voisin, historiquement un ennemi mais aujourd’hui une source de commerce frontalier, de main-d’œuvre migrante et de gaz naturel, avec des liens étroits entre les armées et des investissements thaïlandais lucratifs au Myanmar.
Mais on ne voit pas très bien pourquoi, alors qu’il ne lui reste que quelques semaines de mandat, le gouvernement intérimaire de la Thaïlande prend fait et cause pour les généraux du Myanmar.
Le ministre des affaires étrangères, M. Don, a défendu cette décision en déclarant que la Thaïlande souffrait de ses problèmes de frontières, de commerce et de réfugiés. Ces propos ont été repris par le Premier ministre, M. Prayuth Chan-ocha, lui-même ancien putschiste et chef de la junte, qui a insisté sur le fait que la Thaïlande ne se rangeait pas du côté des militaires du Myanmar.
