Voici l’avis de Nad Bunnag (de la respectée famille Bunnag), Thai PBS World (agence nationale de presse) sur le sujet.
Faire preuve de respect envers les adultes et les personnes âgées, collectivement connus en thaï sous le nom de « pooyai » ou « phu yai » (ผู้ใหญ่), est une norme culturelle en Thaïlande, largement perçue comme une vertu. Alors que les abus de pouvoir de la part des « anciens » sont de plus en plus courants, qu’il s’agisse d’abuser des jeunes ou d’espérer des privilèges spéciaux, les Thaïlandais réfléchissent à la manière dont le respect devrait réellement être perçu et enseigné.
« Pooyai » fait également référence aux personnes occupant des postes de pouvoir et aux « personnalités influentes » dans leurs communautés.
Alors, comment cette croyance du « toujours respecter le pooyai » a-t-elle permis à certaines personnes de maltraiter qui elles veulent ? Les pooyais « ont-ils toujours raison » ?
Plus important encore, est-ce mal de n’avoir aucun respect pour les pooyais qui nous traitent mal ? Ou est-ce parce que la notion de respect est enseignée de manière tellement traditionnelle et machinale qu’elle en devient vide de sens ?
Dans le monde entier, le respect est le respect, peu importe qui vous êtes et d’où vous venez, mais le « respect » dans la culture thaïlandaise est différent.
Il existe plusieurs mots dans la langue thaïlandaise pour décrire le respect.
La façon dont ces termes sont décrits dans la langue thaïlandaise signifie que vous respectez quelqu’un ou quelque chose uniquement parce qu’il est de « haute estime », comme le pooyais. Par conséquent, les Thaïlandais se retrouvent souvent à renforcer la croyance qu’une personne modeste doit respecter quiconque est « au-dessus », mais cela n’apprend pas aux gens à se respecter les uns les autres, à statut égal. Cela engendre moult conflits de voisinage.
Dans les hiérarchies sociales de la culture thaïlandaise, votre âge, votre sexe, votre richesse, votre statut social ou votre lignée détermineront la manière dont vous serez traité. Cette « féodalité » qui a existé, voire existe, aussi en France a amené les plus haut placés à attendre que les « inférieurs » les respectent.
Pour cette raison, certaines personnes de position « supérieure » se sentent en droit de parler avec condescendance aux autres, estimant que chacun doit les respecter quoi qu’il arrive.
Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne l’âge, tous les Thaïlandais se classent en se comparant à un membre de la famille, Pee ( พี่ , comme dans frère ou sœur aîné), Loong ( ลุง , comme dans oncle), Pah ( ป้า , comme dans tante ), Na ( น้า , comme dans cousine), Ah ( อา , comme dans cousin masculin) et Nong ( น้อง , comme dans frère ou sœur cadette).
De tels mots sont censés être utilisés dans la vie courante comme si la société thaïlandaise était une famille. Certaines personnes les utilisent pour exiger le respect de ceux qu’ils considèrent comme de « jeunes enfants ». Cet excès a même déclenché un slogan sur les réseaux sociaux « Krai-Nong-mueng-ka » ( ใครน้องมึงคะ ) littéralement « Qui diable est ton Nong (petit-frère) ? ». Ceci est utilisé par les citoyens jeunes pour exprimer leur irritation envers les personnes âgées, y compris de parfaits inconnus, qui tentent de les prendre avec condescendance.
Les pooyai se sentent clairement en droit de bénéficier d’un traitement et de privilèges spéciaux. Les exemples sont légion.
Ainsi, un homme d’affaire a giflé une serveuse dans un hôtel, uniquement parce qu’elle lui a clairement signifié qu’il n’était pas autorisé à fumer dans une salle à manger VIP. L’homme a affirmé que la serveuse avait été « impolie » avec lui, tout en la traitant à plusieurs reprises d’« enfant », réitérant qu’il occupait une position beaucoup plus élevée et qu’elle devrait toujours lui parler humblement.
L’élément le plus alarmant de cette norme culturelle, cependant, est la croyance selon laquelle les pooyais en position de pouvoir échapperont toujours à leurs actes répréhensibles, y compris les agressions sexuelles, parce qu’ils sont puissants, influents et bien connectés dans la société. Malheureusement, les histoires de politiciens, de patrons, de hauts fonctionnaires et même d’enseignants utilisant leur statut pour menacer les victimes d’abus sexuels ne sont que trop courantes.
Alors, est-ce mal de n’avoir aucun respect pour les pooyais qui nous traitent mal ? Bien sûr que non, si l’on tient uniquement compte de l’équité. Cependant, dans la culture thaïlandaise, qui exige toujours le respect des pooyais, cela peut s’avérer délicat.
Cela nous amène à notre dernière question : qu’est-ce qui rend une personne digne de respect ?
Dans de nombreuses autres cultures, le respect doit être gagné et ne peut être exigé. En un mot, le respect se mérite. Il ne peut en aucun cas s’exiger. Même pour les très puissants.
De nombreuses histoires ont montré que les gens méritent le respect NON en raison de leur statut social mais en raison de leur gentillesse, de leur intégrité, de leur compassion et de leur dévouement. Lorsque les gens comprendront le véritable sens du respect, ils finiront par apprendre à se défendre contre ceux qui utilisent leur prétendue supériorité pour profiter des autres.
Il convient de différencier le respect admirable que les Thaïlandais offrent naturellement aux personnes âgées de la soumission à des pooyais qui abusent de la situation. Mélanger les deux concepts serait une erreur.
Même si nous croyons toujours au respect du pooyais, qui est toujours une bonne chose et mérite d’être préservé dans la culture thaïlandaise, le moment est venu où nous devons sérieusement repenser la manière dont nous enseignons le respect aux générations à venir.
Nos familles et le système éducatif devraient mettre davantage l’accent sur l’apprentissage de la manière de traiter les autres avec gentillesse et de se respecter les uns les autres sur un pied d’égalité, sur la base de la dignité humaine. Comme les Thaïlandais accordent franchement trop d’importance au statut social, les pooyais devraient en fait donner le bon exemple sur ce que devrait être le « respect », au lieu de se vanter de leur pouvoir sur les autres.
Si les pooyais et autres puissants (ceux qui se nomment « les bonnes personnes ») faisaient preuve de vertus, non seulement ils susciteraient le respect mais également l’affection afin de créer une société fluide et non constamment en conflit.
Surtout, nous ne devrions jamais nous laisser intimider par la renommée, l’ancienneté, la richesse ou le prestige social des X ou Y et nous ne devrions jamais leur permettre de saper les vraies valeurs dont ils se prévalent mais, qu’en réalité, ils bafouent.
