
Les combats ont repris jeudi matin.
Le conflit frontalier entre la Thaïlande et le Cambodge a franchi un nouveau cap, mêlant intensification militaire, crise humanitaire et arrière‑pensées politiques. Depuis plusieurs jours, les combats se multiplient le long des 800 km de frontière, provoquant un exode massif et des destructions qui rappellent les pires heures des affrontements de juillet dernier.
Mercredi encore, des roquettes tirées depuis le Cambodge sont tombées près de l’hôpital Phanom Dong Rak, dans la province thaïlandaise de Surin. Bangkok évoque une « menace imminente » et affirme avoir évacué plus de 400 000 civils. Phnom Penh fait état de plus de 100 000 déplacés dans cinq provinces frontalières, où drones, avions de chasse et blindés sont engagés. Le nombre total de personnes ayant fui dépasse désormais celui de juillet, lorsque 300 000 habitants avaient quitté leurs villages en cinq jours. Un couvre‑feu est désormais en vigueur dans la province de Sa Kaeo.
Sur le terrain, les combats gagnent en intensité. À Samraong, côté cambodgien, les tirs d’artillerie ont résonné dès l’aube. « C’est plus violent qu’en juillet, ils larguent des bombes depuis des avions de chasse », témoigne Lay Non, réfugié dans une pagode de Siem Reap. En Thaïlande, des habitants de Sa Kaeo racontent avoir fui en urgence, parfois en laissant médicaments et effets personnels. « J’ai couru pour sauver ma vie », confie Niam Poda, 62 ans, désormais installée sous un abri de fortune.
Les sites historiques ne sont pas épargnés. Le temple de Ta Krabey, sanctuaire du XIᵉ siècle, a été gravement endommagé, tout comme des infrastructures de conservation autour du temple de Preah Vihear, classé à l’UNESCO. Phnom Penh accuse l’armée thaïlandaise de viser des zones civiles et des écoles, tandis que Bangkok affirme répondre de manière « proportionnée » à des tirs cambodgiens.
Sur le plan diplomatique, la situation reste bloquée. Le cessez‑le‑feu signé le 26 octobre sous l’égide de Donald Trump a été suspendu quelques semaines plus tard. Le président américain assure pouvoir rétablir le dialogue « d’un simple coup de fil », mais Bangkok refuse toute médiation extérieure, estimant qu’« une limite a été franchie ». Anutin refuse également toute négociation avec Phnom Penh. Il estime que le Cambodge devra se soumettre à ses conditions. Les autorités cambodgiennes se disent prêtes à transiger, mais les Thaïlandais doutent de leur sincérité.
Derrière cette flambée de violence, les motivations seraient moins territoriales que politiques, analyse David Camroux, chercheur au CERI–Sciences Po. Selon lui, la frontière contestée — héritage de cartes divergentes — sert aujourd’hui de levier à deux gouvernements fragilisés. En Thaïlande, le Premier ministre Anutin Charnvirakul se prépare à dissoudre le Parlement et pourrait chercher à transformer le conflit en « élection kaki », misant sur le nationalisme en temps de guerre. Au Cambodge, Hun Manet profiterait de la crise pour détourner l’attention des scandales liés aux réseaux mafieux et aux centres d’appels, un secteur lucratif associé à son entourage.
Les conséquences économiques sont déjà lourdes : travailleurs migrants cambodgiens rentrant précipitamment, perte de main‑d’œuvre en Thaïlande, tourisme en chute libre. « C’est une guerre très stupide », tranche Camroux, estimant que les deux pays sacrifient leur stabilité économique pour des gains politiques à court terme.
Pour lui, seule une médiation menée par l’ASEAN, avec un appui technique de la France et d’autres partenaires, pourrait ramener le calme — à condition que les dirigeants thaïlandais et cambodgiens décident enfin de chercher la paix.
En ce qui concerne les bilans, l’armée thaïlandaise fait état de six soldats tués. Le Cambodge évoque les décès de neuf civils, dont un bébé, mais ne publie pas le nombre de militaires tombés au combat qui pourrait être assez important.



