La Thaïlande détruit une divinité hindoue érigée par les Cambodgiens à la frontière
Depuis plusieurs semaines, la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande est le théâtre d’affrontements meurtriers, de bombardements et de négociations avortées. Les deux pays, liés par une histoire complexe et une frontière de 800 kilomètres disputée, semblent incapables de sortir du cycle infernal de la violence. Chaque camp se proclame victime, tout en se glorifiant des frappes infligées à l’autre. Dans ce climat, la perspective d’une paix durable paraît lointaine, car la haine nourrit les discours et les actes des habitants comme des dirigeants.
Des négociations fragiles sous la pression de l’ASEAN
Le 24 décembre 2025, Phnom Penh a officiellement exprimé sa volonté de négocier un cessez‑le‑feu, adressant une lettre au ministère thaïlandais de la Défense. Les discussions du Comité général frontalier (GBC) ont débuté dans la province de Chanthaburi, avec pour objectif affiché de « garantir la cessation des hostilités » et de rétablir la stabilité. Mais Bangkok a posé des conditions strictes : que le Cambodge proclame d’abord l’arrêt des combats, qu’il assure la continuité du cessez‑le‑feu et qu’il coopère au déminage humanitaire.
Ces exigences traduisent la méfiance persistante. La Thaïlande doute de la sincérité de son voisin, tandis que le Cambodge accuse Bangkok de violer systématiquement les accords précédents. Les négociations, censées durer quatre jours, se déroulent dans une atmosphère tendue, sous l’œil des observateurs de l’ASEAN.
Les bombardements : fierté et scandale
Alors même que les délégations se réunissaient, l’armée de l’air thaïlandaise lançait des frappes massives à plus de 100 km à l’intérieur du Cambodge. Utilisant des avions sud‑coréens T‑50TH Golden Eagle, des F‑16 américains et des Gripen suédois, elle a visé des infrastructures militaires et civiles dans les provinces de Battambang, Siem Reap et Banteay Meanchey. Plus de 600 000 personnes ont été contraintes de fuir, des écoles ont fermé, et des temples anciens ont été endommagés.
Phnom Penh dénonce des « attaques indiscriminées » et appelle la communauté internationale à condamner la Thaïlande. Mais de l’autre côté de la frontière, Bangkok se félicite de sa puissance militaire et accuse le Cambodge de nouvelles provocations. Chaque camp se glorifie des coups portés, tout en criant au scandale lorsqu’il est lui‑même frappé. Cette contradiction illustre la spirale de haine qui empêche toute réconciliation.
La société civile entre peur et résistance
À Siem Reap, loin des lignes de front, mais proche des bombardements, des habitants et des étrangers ont organisé des veillées aux chandelles, des marches pieds nus et des méditations collectives pour réclamer la paix. Ces initiatives, soutenues par des personnalités locales et saluées par le Premier ministre Hun Manet, traduisent une volonté populaire de mettre fin au conflit par des moyens non violents.
Pourtant, la peur est palpable. Les commerçants et guides touristiques d’Angkor Wat voient leurs revenus s’effondrer. Les ventes de tickets ont chuté de 20% par rapport à l’année précédente, et les minibus reliant Bangkok à Siem Reap sont immobilisés depuis la fermeture des passages frontaliers. Le Cambodge, dont le tourisme représente près de 10% du PIB, subit de plein fouet les conséquences économiques de la guerre.
Un conflit enraciné dans la politique et l’histoire
La rivalité entre les deux pays ne date pas d’hier. Les affrontements de juillet 2025 avaient déjà fait 43 morts et 300 000 déplacés. Un cessez‑le‑feu signé en octobre s’est effondré après un incident lié à des mines. La reprise des combats en décembre s’inscrit dans un contexte politique tendu : en Thaïlande, le dirigeant conservateur Anutin Charnvirakul capitalise sur le nationalisme lié au conflit pour renforcer ses chances électorales.
Une paix illusoire
Les appels à la communauté internationale, aux États‑Unis, à la Chine ou à l’ASEAN, se multiplient. Les organisations de défense des droits humains dénoncent des violations graves du droit international, évoquant des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Mais sur le terrain, les combats continuent, les civils fuient, et les rancunes s’enracinent.
Le Cambodge a clairement perdu des territoires qu’il prétendait siens, sur la base des cartes de 1907. Ni le gouvernement ni les citoyens n’accepteront cette situation. La Thaïlande refusant tout arbitrage extérieur, le Cambodge devra attaquer à nouveau. Dans dix ans ? Dans 100 ans ?
Plus graves encore, certains gestes symboliques heurtent profondément les croyances religieuses. Ainsi, la destruction par la Thaïlande d’une statue représentant une divinité hindoue à la frontière a suscité l’indignation non seulement des Cambodgiens, mais aussi en Inde, où le gouvernement a officiellement protesté. Bangkok a justifié cet acte — comparé par certains aux destructions commises par les talibans en Afghanistan — en affirmant que la statue se trouvait sur son territoire, ce qui reste contesté.
La paix, dans ce contexte, semble illusoire. Tant que la haine emplit le cœur des habitants, tant que les bombardements sont vécus comme une fierté nationale et que les souffrances de l’autre sont niées, aucune trêve ne pourra durer. Les négociations en cours ne sont qu’un fragile vernis posé sur une réalité brutale : une vraie paix n’est pas pour demain.



