Le Cambodge assure être prêt à engager immédiatement des discussions bilatérales avec la Thaïlande pour tenter d’enrayer l’escalade militaire qui embrase de nouveau leur frontière commune. Une déclaration qui intervient alors que les deux voisins s’accusent mutuellement d’avoir violé le cessez-le-feu signé fin octobre sous l’égide du président américain Donald Trump et du Premier ministre malaisien Anwar Ibrahim.
Depuis dimanche soir, les combats se sont intensifiés le long des 817 kilomètres de frontière, avec l’usage d’artillerie lourde, de roquettes et désormais de drones suicides. Au moins une dizaine de morts et près de 150 000 déplacés sont recensés, selon les autorités thaïlandaises. Les bilans restent impossibles à vérifier de manière indépendante.
Phnom Penh se dit ouvert, Bangkok ferme la porte
Pour Phnom Penh, la solution passe par un retour immédiat au dialogue. « Les deux parties pourraient s’asseoir autour de la table dans l’heure », a déclaré Suos Yara, conseiller du Premier ministre Hun Manet, dans un entretien vidéo. Le Cambodge nie toute violation du cessez-le-feu et affirme respecter l’accord d’octobre.
Bangkok, au contraire, exige un geste préalable de Phnom Penh et refuse toute médiation extérieure. Le ministre thaïlandais des Affaires étrangères estime que le Cambodge doit « prouver sa sincérité » avant toute reprise des discussions. Le Premier ministre Anutin Charnvirakul a, lui, donné carte blanche à l’armée pour poursuivre ses opérations. Il a même déclaré mardi soir « La position thaïlandaise reste la même. Donc aucun cessez-le-feu ! »
Mercredi matin, les médias cambodgiens affirment que l’armée thaïlandaise continue ses attaques.
Washington appelle à « une cessation immédiate »
Face à la montée des tensions, les États-Unis ont exhorté mardi les deux pays à revenir sans délai à l’accord de Kuala Lumpur. Washington demande la protection des civils et la fin des hostilités, alors que les combats se sont étendus à plusieurs provinces frontalières.
En Thaïlande, le leader du People’s Party, Natthaphong Ruengpanyawut, accuse le Premier ministre Anutin Charnvirakul de mettre la Thaïlande en danger en refusant toute négociation avec le Cambodge. Selon lui, cette ligne dure pourrait nuire à l’image internationale du pays et permettre à Phnom Penh de présenter Bangkok comme l’agresseur. Il estime que la stratégie exclusivement militaire est vouée à l’échec alors que le conflit entre dans son troisième jour et a déjà entraîné plus de 100 000 évacuations. Natthaphong appelle à une approche plus équilibrée mêlant défense, diplomatie et lutte internationale contre les réseaux d’arnaques qui, selon lui, financent le régime de Hun Sen.
Drones, roquettes et villages plongés dans le noir
Dans la province thaïlandaise de Surin, les villages proches de la frontière ont été plongés dans le noir mardi soir. Les autorités ont ordonné un blackout préventif pour limiter les risques d’attaques de drones, après des alertes évoquant une possible salve de plusieurs centaines d’engins explosifs.
Des unités de sécurité villageoises ont passé la nuit en alerte, épaulées par la police locale, qui a multiplié les patrouilles et les consignes de détection de drones.
Plus à l’est, dans la province de Trat, la marine thaïlandaise a apporté un soutien d’artillerie pour reprendre une zone où des habitations cambodgiennes avaient été construites côté thaïlandais. Trois structures et plusieurs bunkers ont été détruits, mais la contre-attaque cambodgienne a empêché les forces thaïlandaises de sécuriser totalement le secteur.
Des pertes lourdes et un risque d’embrasement
Selon l’armée thaïlandaise, les combats de mardi auraient fait 4 morts et 68 blessés dans ses rangs. Elle affirme que 61 soldats cambodgiens auraient été tués, un chiffre que Phnom Penh n’a pas confirmé.
L’armée thaïlandaise assure qu’elle « prendra toutes les mesures nécessaires » pour défendre la souveraineté du pays. De son côté, l’ancien Premier ministre cambodgien Hun Sen a appelé ses troupes à « riposter partout où l’ennemi attaque ».
Alors que les deux capitales campent sur leurs positions, la crainte d’un conflit prolongé grandit dans une région déjà marquée par des décennies de tensions frontalières.
On ne sait pas qui a commencé, mais on sait qui profite du conflit
Impossible, à ce stade, de dire qui a réellement « ouvert le feu ». Une chose est sûre : les ultranationalistes des deux pays y trouvent leur compte. Certains analystes ont avancé que Phnom Penh aurait voulu répondre aux récentes saisies, en Thaïlande, de milliards de bahts appartenant à de puissants réseaux politico-mafieux cambodgiens. Une hypothèse qui convainc peu : difficile d’imaginer que des tirs d’artillerie puissent compenser de telles pertes financières. D’autant que les dirigeants cambodgiens savaient pertinemment qu’une escalade leur vaudrait de lourdes pertes humaines et, potentiellement, de nouveaux reculs territoriaux face au voisin thaïlandais.
À Bangkok, en revanche, la situation offre une opportunité politique. Pour Anutin, qui s’est volontiers posé en « chef de guerre », cette crise tombe à point nommé pour faire oublier la gestion désastreuse des inondations de Hat Yai et tenter de regagner du terrain à l’approche des prochaines élections.
